Cassius

La seconde moitié des années 1990 restera marquée en France par la French Touch, dont Cassius fut l’un des fers de lance. Ce phénomène électronique sorti de nulle part est devenu le premier mouvement musical à positionner la France en scène majeure sur l’échiquier musical international et a permis à deux DJ français, Philippe Cerboneschi dit « Zdar » et Hubert Blanc-Francard alias « Boom Bass », d’obtenir un vrai succès dans les clubs du monde entier. Leur premier album 1999 (paru cette année-là), reste un modèle du genre, suivi par Au Rêve (2002), 15 Again (2006) et dix-sept années plus tard, Ibifornia (2016). En 2019 suit le cinquième album Dreems, sorti deux jours après le décès accidentel de Philippe Zdar. Âgé de 52 ans, le DJ et producteur a fait une chute du 3e étage de son immeuble parisien le 19 juin 2019.

Lorsque l’on se penche sur la biographie de Cassius, c’est-à-dire celle du duo composé de Hubert Blanc-Francard alias Boom Bass et Philippe Cerboneschi dit Zdar, on cherche d’abord à se retrouver dans le labyrinthe de leurs productions. L’un comme l’autre ont grandi dans les studios d’enregistrement : le premier est le fils du producteur Dominique Blanc-Francard et frère de l’artiste Sinclair ; le second fut le stagiaire à tout faire et ingénieur du son junior au studio Plus XXX de… Dominique Blanc-Francard, où ils se rencontrent.

Leur premier travail commun s’effectue en 1991, respectivement comme ingénieur du son et musicien sur le premier album de MC Solaar (Qui Sème le Vent Récolte le Tempo). Leur expérience du sampling va alors permettre à l’album du rappeur d’obtenir son tempo medium caractéristique, particulièrement sur les tubes « Bouge de là » ou « Caroline ». Ils sont ensuite contactés par James Lavelle, qui leur demande des « instrumentaux hip-hop bizarroïdes » après avoir entendu leur travail avec MC Solaar.

C’est sous le nom de La Chatte Rouge puis de La Funk Mob que sortent leurs premières productions. En 1994, le duo sort « Les Tribulations extra-sensorielles de La Funk Mob », un titre d’abstract hip-hop, sur le label britannique Mo’Wax. C’est l’époque des maxis qui se vendent à quelques milliers d’exemplaires. Puis, en 1995, le succès d’un nouveau titre intitulé « Breaking Boundaries » assoit leur reconnaissance professionnelle et leur permet de travailler pour Depeche Mode, Neneh Cherry ou Björk. Ils sont alors contactés par Air ou Daft Punk pour remixer les tubes « Sexy Boy » et « Around the World ».
Même si Boom Bass et Philippe Zdar sont tous deux initialement fans de hard rock et de funk, la fréquentation des clubs finit par convertir le second à la house. Il développe alors un projet parallèle avec Étienne de Crécy, formant le groupe Motorbass qui sort en 1996 Pansoul, album essentiel de house qui mélange allégrement une ferveur disco à des samples de Sun Ra. Motorbass servira ensuite de modèle à toute la house française.

Philippe Zdar propose alors à Hubert Boombass de travailler sur un titre house : « L’homme qui valait trois milliards ». Devant le succès, ils décident de prolonger cet essai par un album. La Funk Mob est leur première incarnation hip-hop ; Cassius sera une machine à façonner des tubes house. Leur premier album, 1999, rencontre un succès énorme et reste comme l’une des références – avec Homework de Daft Punk, Boulevard de St. Germain et Moon Safari de Air – de ces années où la house et la French Touch dominent l’electro. Le New Musical Express s’interroge alors sur l’insolent succès de tous ces Frenchies : « Est-il permis d’être un peu raciste ? OK. Les Français : comment en est-on arrivé là ? Comment une nation qui pendant 97 % de ce siècle a admiré la musique populaire de loin, a-t-elle trouvé en son sein de quoi créer la dance-music la plus dynamique des années 1990 ? L’ecstasy a-t-il réussi là ou toutes les autres drogues ont si clairement échoué ? »

Mais les toutes premières années du XXIe siècle vont rapidement voir l’essoufflement de la French Touch et faire apparaître son lot de doutes pour Zdar et Boom Bass. Comme beaucoup de bidouilleurs, ils avaient commencé à tripoter leurs machines il y a plus de dix ans et se sont retrouvé face à un cul de sac créatif. Il ne veulent plus alors apparaître uniquement comme un duo habile, concepteur de tubes pour les pistes de danse. Leur second album paraît en 2002 ; ils y expérimentent de nouveaux sons et y injectent leur envie de composer de vraies chansons. « Lorsqu’on fait de la musique depuis longtemps, expliquait alors Boom Bass, on développe des habitudes et l’on se met à bien aimer ce que l’on sait déjà faire. Nous n’arrivions plus à nous surprendre avec juste un sampler. Et même si le sampler demeure sur ce disque notre instrument de choix, nous voulons le nourrir de nos propres sons ». Participent à ce disque Ghostface Killah (Wu-Tang Clan) ou la diva Jocelyn Brown. Mais cet album intitulé Au Rêve, élaboré avec beaucoup de temps et de moyens et sans doute trop prétentieux, rencontre un faible écho critique et commercial.

Devant cet échec le duo cherche ensuite à retourner à l’essentiel. A l’inverse de l’album Au Rêve, il s’agit alors pour le duo de retrouver une spontanéité perdue, dans l’écriture, mais aussi dans la production. Ils convient leur ami de toujours Étienne de Crécy à l’élaboration de cette nouvelle production, à laquelle participe également Mathieu Chedid (-M-). Le titre de l’album, qui paraît en 2006 n’est pas choisi au hasard : 15 Again (« 15 ans à nouveau »), c’est retrouver la joie de créer, mais aussi et surtout de composer pour la scène et de se découvrir un vrai groupe capable de jouer sur scène leurs compositions pop ou funky. Le chemin parcouru depuis les premiers bidouillages house est énorme.

Dans le premier single, « Toop Toop », il y a du Prince et de la soul, mais aussi des bribes de The Clash dans les riffs de guitare et dans la façon de scander, qui déborde d’énergie. À noter : la participation de Pharrell Williams (The Neptunes) qui, après avoir découvert l’album précédent du groupe, lui avait proposé d’écrire un texte et d’enregistrer avec le groupe. Le duo a désormais réussi sa mutation pour devenir un groupe complet, qui a su dépasser son image de pilier de la French Touch. Les deux artistes ont su démontrer que s’ils étaient maîtres dans l’art de la production, il sont aussi des musiciens accomplis comme en témoigne toujours l’album Ibifornia (2016), qui marque un retour après dix ans de silence. Occupés par leur activité de producteurs, les deux hommes se retrouvent plus tôt pour réaliser leur cinquième album Dreems, paru le 21 juin 2019. Seulement, deux jours avant, dans l’après-midi du 19 juin, Philippe Zdar, âgé de 52 ans, fait une chute mortelle d’un immeuble parisien.